La meilleure image que l'on puisse donner du rassembler est celle du fauve qui bondit sur sa proie : il est parcouru par une vibration qui gagne toutes les parties de son corps préalablement disposées pour pouvoir instantanément se développer dans une action foudroyante.
En équitation sportive, le cheval se rassemble devant l'obstacle, pour s'enlever ensuite par la détente de tous ses ressorts musculaires parfaitement disposés et à la condition que son cavalier épouse au moins son équilibre. Il s'agit là du rassembler naturel et spontané.
En haute équitation, on peut le définir comme un état d'équilibre supérieur obtenu par la gymnastique et les assouplissements qui constituent les exercices d'écoles. C'est l'objectif, l'idéal de tout écuyer, c'est celui que nous allons méthodiquement poursuivre au fil de cet ouvrage.
Le rassembler est réalisé par la flexion des hanches et des jarrets portés en avant et engagés, qui provoquent l'allègement et le relèvement du devant, et servent de ressorts à la masse, à tout instant et dans n'importe quelle direction. Le rassembler correct permet la répartition à volonté du poids et des forces entre l'avant et l'arrière-main. Le raccourcissement du poser des membres et leur rapprochement du centre de gravité assurent le maximum de mobilité en tous sens, rendent possibles les changements harmonieux et rapides d'allures, d'airs, de vitesse, et provoquent le relèvement brillant des gestes. Il a été recherché par toutes les équitations et pleinement réalisé au XVIIIème siècle par les écuyers du Manège Royal de Versailles. Comme un danseur maintient cet équilibre aérien qui le détache du sol, le cheval d'école conserve durant sa reprise et aux trois allures son rythme bondissant, la flexibilité et la régularité de sa cadence sans effort apparent.
Le rassembler tel qu'il est présenté au plus haut niveau
(Christine Stueckelberger)
sur les rectangles. (Ph. F. Chéhu)
Les idées fausses concernant le rassembler sont suscitées par des attitudes forcés obtenues par des compressions qui provoquent l'engagement abusif des hanches et empéchent le déploiement des jarrets, entraînant par la suite creusement du dos et refus d'engagement.
Cet accident ne se produit jamais quandle rassembler découle de l'exécution progressive et sans force, des assouplissements par mobilisation infléchie et latérale : cercles, voltes, serpentines, huit dé chiffres, épaule en-dedans, appuyers, etc. Ils permettent au cheval de retrouver, sous le cavalier, son niveau optimal d'équilibre naturel; il engage ses forcés par une poussée permanente et dosée d'arrière en avant.
Le Maître Oliveira m'a dit un jour : « Lorsque je monte un poulain pour la première fois, j'ai déjà le rassembler dans la téte». Cela ne signifie pas qu'il le recherchait dès le débourrage, bien évidemment, mais qu'il le préparait dès les premières leçons. Il ne s'agit pas de forcer, mais de favoriser par des touches délicates, la mise en équilibre du jeune cheval qui débouchera, des années plus tard, sur le rassembler.
Le ramener qui tend à la placer la téte du cheval le plus près possible de la verticale, n'est qu'un élément du rassembler ; il ne peut étre envisagé en dehors du rassembler. Ce faux principe fait actuellement des ravages, la plupart des chevaux d'école se présentant au ramener sans étre rassemblés. Cela résulte de la triste généralisation des rênes coulissantes (dites « allemandes ») complétée par le cisaillement à tours de bras de la bouche par le mors de filet. Nous sommes en présence de ce que le colonel Podhajsky stigmatise comme le faux rassembler provoqué par la traction d'avant en arrière, l'équitation « écrasée ».
Le cheval « rond », sous la selle du Maitre Nuno Oliveira. (Ph. coll. N. Oliveira)
La définition du rassembler montre bien qu'il ne peut en exister qu'une forme par cheval comme il n'existe qu'un équilibre juste, dans une position donnée. Baucher voulut définir un nouveau rassembler qui effacerait celui de Versailles. Il prôna d'abord le rapprochement maximum des extrémités postérieures et antérieures (l'isard sur le pic), puis l'abandonna dans sa deuxième manière pour le rechercher par le relèvement de l'encolure sur des actions directes de la main. Le creusement du dos ainsi provoqué bloque l'impulsion des chevaux qui n'ont pas été assouplis par les moyens classiques.
Le capitaine Beudant, écuyer dans la filiation intellectuelle de Baucher et Faverot, écrivit : « Le ramener n'est pas indispensable à l'équilibre », il ajoutait que ce n'était pas une faute d'imiter le cheval libre méme dans l'équitation d'école. Il admettait que le ramener complet donnait effectivement au cheval « toute sa splendeur », soulignant qu'il s'agissait « du ramener dans lequel l'encolure se grandit véritablement pour arriver à baisser le nez sans baisser la nuque ».
J'espère que chacun comprend que le rassembler n'est pas un moyen de dressage, mais un état du cheval et par conséquent nul ne s'étonnera que je me borne à le décrire et à en évoquer la poésie ...
Je veux néanmoins apporter une précision qui me paraît importante et que les grands auteurs n'ont pas assez soulignée : un cheval ne peut tenir le rassembler que si son cavalier se rassemble lui-même : position qui tend à rapprocher chacune de ses parties de son corps du centre de gravité, engagement profond du rein et tonicité vibrante de tout son être.
Il est certains airs qui ne peuvent s'exécuter vraiment en dehors du rassembler ; ce sont ceux qui exigent la descente de mains et de jambes - comprendre cessation momentanée de leurs actions. Ce sont, bien sûr, le passage, le piaffer, la transition de l'un à l'autre et surtout, nous en reparlerons, le véritable trot d'école ou trot rassemblé disparu lui aussi. L'équilibre rassemblé est le véritable et seul cachet authentifiant le dressage artistique.