Les cavaliers qui viennent ici pour la légèreté, ne la possèdent en général pas et n’ont jamais acquis les moyens de la provoquer chez les chevaux qui leurs sont confiés.
Il est surprenant que la révélation par un grand magazine équestre allemand d’un procédé de contraintes sauvages ait été l’objet d’une étude officielle et prudente plutôt que d’avoir été déférée purement et simplement devant les tribunaux pour maltraitance des animaux.
La publication de photos et de films , visions bouleversantes de têtes et d’encolures cassées d’abord aux rênes allemandes puis achevées par les brides maniées à plein bras, cervicales en crosse d’évêque, menton écrasé contre le poitrail ont provoqué un certain remous médiatique.
Des articles de presse, des colloques télévisés réunissant les champions incriminés, des juges, des entraîneurs et des vétérinaires ont couvert ce scandale d’une langue de bois digne des pires politiques.
Il ne s’est trouvé personne pour évoquer les critères éternels de l’art équestre et pour rappeler que le dressage classique était né d’une méthode gymnastique qui n’a cessé d’évoluer au fil des siècles, de l’expérimental au rationnel.
On pouvait imaginer être à l’abri d’un retour aux temps barbares et protégé par le superbe article 401 du règlement F.E.I. promulguant « la légèreté, l’harmonie, la soumission sans tension, le moelleux contact ».
Les thèses avancées par les instigateurs de l’hyper encapuchonne ment révèlent une insensibilité et une inculture consternante. Ils préconisent d’obtenir, ce qui est le but de tout cavalier compétant, « un maximum de développement et de relâchement dans le mouvement ». Il est évident que l’enfermement forcé raccourci l’encolure et contracte le dessus du cheval.
Ils estiment à juste titre qu’ »il est néfaste de placer les chevaux haut perchés » cela correspond à l’élévation de l’encolure par les bras préconisés par Baucher première manière qui est symétrique en absurdité avec le « Deep and low » présenté sur les photos.
Ils affirment que « le roll kür n’est pas autre chose que la posture du cheval qui broute », j’aimerais voir un cheval brouter dans la position de la Roll Kür !
Ils font référence scientifique aux excellents ouvrages du professeur Denoix et du docteur Pradier (éditions Maloine) qui préconisent l’encolure et la tète étirés en avant et vers le bas. Nous sommes aux antipodes de l’enroulement bloqué !
Les enroulements délirants paru sur Internet n’ont été possible qu’en passant par les effets de poulie des rênes allemandes. Les exiger d’emblé sur le mors de bride provoquerait immédiatement le renversement du cheval.
Avec le sinistre Roll Kür , nous assistons au dernier avatar des rênes coulissantes dont l’usage a commencé au milieu du siècle dernier avec les cavaliers d’obstacles pressés de sauter avant d’avoir dressés leurs chevaux et de contrôler leur mise en main. Cet expédient fut observé avec une réserve distante par les derniers Maîtres qui continuèrent la recherche des équilibres savants par les exercices classiques dans un travail rationnel à l’exclusion de tout enrêne ment dans le travail monté.
Dans quelles circonstances le recours aux rênes allemandes est-il justifié et comment les utiliser .
J’avouerai d’abord ne m’en être servi en cinquante ans qu’avec trois chevaux et pas plus de trois ou quatre fois chacun, pourquoi , parce que la sensation d’incommunicabilité par rapport au filet était telle que j’ai préféré chaque fois revenir à l’arsenal des incurvations, flexions et mobilisations latérales.
Cela étant et à condition de savoir s’en servir , elles peuvent aider à régler ou éviter certains problèmes pour des cavaliers dont la résistance physique est insuffisante pour fixer la main lorsque le cheval tire, sans exercer à leur tour une traction en arrière. Mais attention, ça n’est qu’un expédient provisoire qui fonctionnera de moins en moins si d’une part le cavalier ne sait pas les utiliser et d’autre part si il ne s’efforce pas de contrôler -dresser- son cheval par les moyens classiques.
Les rênes allemandes doivent être tenue en demi tension comme nous tenons les rênes de bride , c'est-à-dire un centimètre plus longue que le filet . Lorsque le cheval se porte violemment contre le main ou se contracte d’un coté ou de l’autre , on substitue promptement la rêne allemande au filet et toujours d’un seul coté à la fois , celui de la résistance ou de la flexion recherchée. Leur efficacité dépend de la rapidité de la cession de la main qui reprend aussitôt le contact avec le filet. Les effets prolongés enferment les chevaux et les mettent définitivement en arrière de la main. S’ajoute à ces lourdes conséquences des perturbations du comportement montés des animaux victimes de cet expédient.
De ma découverte du Maître en 1963 à sa mort en 1989 , je n’ai jamais passé deux mois sans travailler avec lui , que se soit à son manège ou chez moi. Je n’ai pas le souvenir de l’avoir vu utiliser les rênes allemandes avant qu’il ne ressente les premières atteintes à son rythme cardiaque. Je dirais qu’en dehors des rênes fixes ou du gogue en longe, la question des enrênements montés ne s’est jamais posée entre nous. C’est lorsqu’il a commencé à souffrir de son cœur qu’on la vu les mettre à certains chevaux. La première fois qu’il les évoque , et avec quel luxe de précaution et quelles réserves, c’est en 1986 trois ans avant sa mort !
Ce texte – Propos d’un vieil écuyer – et sa réflexion sur la capacité de dresser n’importe quels chevaux avec les rênes allemandes avaient pour nous une connotation un peu pathétique, néanmoins sa description de leur usage est la quintessence de son art et de sa philosophie.
Pour ce qui nous concerne , avant de nous attaquer au dressage de chevaux mal conformés , commençons par exercer notre talent sur des animaux plutôt prédisposés avec les moyens les plus naturels.
Michel Henriquet - Octobre 2006